La France compte 11,5 milliards d’arbres qui couvrent plus de 30% de sa surface totale. Qui dit fôrets dit absorption de dioxyde de carbone CO2 et qui dit CO2 dit empreinte carbone. Cette quantité de gaz à effet de serre produite directement ou indirectement par nos activités et par notre consommation ou par celles d’organisations contribue au réchauffement climatique qui est susceptible de faire augmenter la température de 1,5 à plus de 4 degrés d’ici 2050. Mais, est-il possible de compenser notre empreinte carbone au moyen de projets forestiers ? Pouvons nous imaginer un projet forestier cohérent et capable de compenser notre empreinte carbone à l’échelle de la France ?
Combien d’arbres par français faudrait-il ?
Il nous faut d’abord essayer de comprendre combien d’arbres seraient nécessaires à la compensation de notre empreinte carbone individuelle. Les végétaux absorbent le CO2 par la photosynthèse, ce processus biochimique qui leur permet de convertir de l’eau, de l’énergie solaire, des minéraux et notre fameux CO2 en matière organique.
Du CO2, oui, mais combien ? Pour le savoir, il faut comprendre qu’un arbre est composé en moyenne à moitié d’eau. Le carbone est compris dans la masse sèche de l’arbre, il représente environ 47,5% de sa masse totale. Le rapport des masses molaires nous indique qu’un kilogramme de carbone correspond à 3,67kg de CO2, on peut donc estimer qu’un hêtre de 35 ans et 1000kg contient environ 500 kg d’eau et 237 kg de carbone et a dû fixer environ 237kg x 3,67= 870 kg de CO2, soit une moyenne de 25kg de CO2 par an. Ce chiffre varie évidemment en fonction de l’essence d’arbre (certaines, comme le Paulownia Tomentosa absorbent jusqu’à dix fois plus de carbone !), du type de forêt, du sol sur lequel il est planté, du climat et de son âge (deux thèses s’affrontent ici : soit l’arbre jeune qui croît plus vite fixe plus de carbone, soit c’est le plus vieux qui a une masse volumique plus importante).
L’empreinte carbone annuelle moyenne d’un·e français·e étant évaluée à environ 9 tonnes équivalent CO2 par an, en 2020, cela signifie qu’il faudrait 9000/25 = 360 arbres par français·e, à renouveler à la fin de la durée de vie de l’arbre pour compenser notre empreinte carbone. Pour réduire ce chiffre, nous pourrions envisager de réduire notre empreinte carbone ou de planter des essences différentes, mais nous garderons pour le moment cette étude plus générale en utilisant les arbres les plus présents en France (chênes, hêtres…).
Planter, oui, mais dans quelles conditions ?
Remettre des arbres là où il y en a eu, c’est s’assurer un plus ou moins grand puits de carbone selon la nature du sol sur lequel on les plante (prairies, terrain cultivé, terrain artificialisé, …) mais aussi un écosystème qui favorise la baisse des températures locales et la biodiversité. Planter des arbres paraît donc, et c’est maintenant rentré dans notre imaginaire collectif, une super idée. Cependant, il ne suffit pas de planter une graine et d’attendre pour obtenir un fort chêne en bonne santé: livré à lui-même, un bois se dégrade car il est beaucoup plus sensible aux accidents climatiques, aux bactéries tueuses et autres insectes dangereux. Or c’est lorsqu’il se dégrade et se décompose que le bois libère tout le carbone qu’il avait fixé ! On peut envisager des moyens de réduire ce phénomène, en transformant le bois en matériau de construction par exemple, mais il faut surtout éviter que la décomposition se produise prématurément.
Pour ça, on pratique l’éco gestion, qui consiste en une gestion durable des forêts. Elle garantit leur diversité biologique et leur vitalité sur le long terme au moyen de consignes précises. Les actions mises en place par les maires, l’Office Nationale des Forêts et certaines directives européennes varient en fonction des territoires. Parmi les normes de cette pratique, des distances de plantation de 7 à 10 m pour les grands conifères et feuillus tels que les chênes ou les hêtres. Pour poursuivre notre étude, on choisit donc une plantation relativement dense mais en accord avec les essences dominantes dans le paysage français : 1500 plants par hectare.
En termes de surface, le projet est réalisable. En effet, l’objectif est de planter 360 arbres soit 0,24 hectare par français·e. Pour 66 millions de français·es il faudrait ainsi 158.400 km² de forêt. La France comptant 255.640 km² de surface forestière, cela représente plus de 60 % de la surface actuelle boisée. En France, le problème n’est pas la rareté des forêts mais leur abandon et leur mauvais entretien !
Il faudrait envisager des solutions alternatives, par exemple le rachat de forêts abandonnées en vue d’une réhabilitation, l’agroforesterie ou encore des plantations alternatives.
La première solution est intéressante mais chère: en estimant le coût de l’entretien d’une forêt à 30€ par hectare et par an, le budget total s’élèverait à plus de 475 milliards d’euros, trop par rapport au budget français pour les dépenses dites « vertes »: 32,5 milliards d’euros. Il nous faut alors penser à des solutions pour mieux rentabiliser le projet. Parmi celles-ci, l’agroforesterie présente un grand nombre d’avantages !
La plantation de mangroves présente, elle aussi, plusieurs atouts : densité, croissance rapide, stockage souterrain du carbone enfoui par sédimentation, toutes les qualités d’un puits de carbone exceptionnel. De plus, au plan politique et social, la plantation de mangroves dans les DROMS et les COMS permettrait de dynamiser ces territoires peu valorisés et souvent en marge des politiques nationales.
La mise en place d’un projet forestier cohérent de compensation de notre empreinte carbone est donc un problème bien plus complexe qu’a priori, qui dépend d’un grand nombre de facteurs. Pour compenser notre empreinte carbone il nous faudrait planter et entretenir en éco gestion 360 arbres par français·e, en considérant que celles·eux-ci n’augmenteront par leur production de GES. Malgré les difficultés économiques et de logistique, notre projet pourrait être réalisable, notamment par la mise en place de solutions alternatives.
Cependant, il faut noter que notre étude est fondée sur le principe de la compensation carbone : l’idée que puisque les gaz à effet de serre ont des effets globaux sur le réchauffement planétaire, une tonne de CO2 émise en un endroit pourrait être annulée par une tonne de CO2 absorbée ou stockée ailleurs. Mais la compensation carbone peut rapidement devenir une excuse pour continuer à polluer. Une entreprise classée parmi les plus gros pollueurs mondiaux ne peut se contenter de financer un projet de plantation : elle doit avant tout chercher à réduire significativement ses émissions de gaz à effet de serre. En effet, la démarche de compensation est souvent insuffisante, trop lente par rapport à nos émissions et risquée : les forêts peuvent toujours être détruites par accident (incendies …) et notre démarche réduite à néant. C’est pourquoi il est peut-être préférable de parler de « contribution carbone ». Le véritable enjeu réside alors dans le maintien ou la restauration des écosystèmes forestiers en place et dans le changement de nos modes de vie, car le meilleur CO2 n’est pas celui qu’on compense, mais celui qu’on ne produit pas.
Emma Betbeze, Angèle Cornillon, Clémence Deutsch, Juliette Fourcade, Jehanne Thomas & Norin Saidi.